Le camelot belge
Approchez-vous, Mesdames, Messieurs,
les autres aussi, enfin qui veut !
Nous sommes exceptionnellement de passage
dans votre village.
Notre Grande Droguerie Poétique
ne vend plus rien, c'est bien pratique.
Nous voilà désormais libéré
des lois de la rentabilité.
Allez, allez, approchez donc,
vous ne risquez rien, tout est gratuit.
Nous n'accordons de la valeur
qu'à ces petits bonheurs
qui naissent dans les rencontres fortuites
où les contraintes ont pris la fuite,
jambes au cou, cul par-dessus tête
pour faire la fête.
Nous sommes belge, le savez-vous ?
Nous n'en sommes pas fier du tout.
Cela nous fait même rigoler
quand on nous crie sur notre route
et même au cœur de nos déroutes :
²Il vient de là. Oh, qu'il est drôle !
Comme il est bien surréaliste, l'artiste !"
Parfois nous n'avons encore rien dit, que déjà l'on rit.
C'est une marque de fabrique
façon Magritte poétique.
Mais dans le fond de la boutique
là où on planque le tragique,
et notre conscience de n'être vivant
que pour un très court instant,
entre autres choses,
(pour lire la suite, voyez ma prose),
nous nous asseyons un instant
pour causer avec les vieux amants
d'une langue pas tout à fait française,
même si c'est notre grand-père
qui a le mieux tricoté sa grammaire.
Achille Chavée se tient debout,
à côté de sa chaise
qui toujours, reste assise.
Et Scutenaire un peu perdu,
offre des mots très beaux, très doux,
à ces belles dames dévêtues
sans qui il se serait pendu.
Ah ! Mais il y a du beau monde !
Du bariolé, de la faconde !
On fume, on rit, on boit, on rote,
avec l'élégance de l'équivoque.
On se décale toujours et imperceptiblement
dans ce langage rendu glissant
par la dérision et les accents.
Alors nous nous rassasions des paroles
et du whisky du vieux Jean Ray,
de Ghelderode, du bon père Norge,
et même de la crème de Carême.
Au p'tit matin, hagard et blême,
Thomas Owen, dernier fantôme,
nous ramène calmement au pays des vivants.
Et nous ouvrons notre boutique
de petits pots éthiques.
Des amis passent et font tintinnabuler
le petit carillon doré de la porte d'entrée
et de notre cœur.
Il est doux de les retrouver
bien loin du spectacle de la société,
de vibrer un instant de ce qui fut tracé
sur un bout de papier,
Coran, Norac et Raoul qui n'aime pas être cité
sachant prédatrice toute mondanité,
et les grandes dames littéraires
qui nous ont appris à voir ailleurs
qu'en une culture de père pervers
qui leur castrait et l'âme et le corps et le cœur.
Le Camelot Poète que je suis
ne veut que fêter ici
tout ce qui lui fut révélé
par des lectures partagées et les complicités :
le rythme et le rire,
les mots qui osent dire le pire
et son contraire
en dissolvant le pompeux pépère mortifère,
l'éblouissement des grands amoureux,
l'élan permanent de vouloir être vivant,
la conscience d'être humain sans que ce ne soit jamais assez,
et l'envie de poser dans de petits flacons
nos plus belles émotions.
C'est pour cela qu'en la Grande Droguerie
nous distillons nos plus belles utopies.
Face à tout ce qui nous voudrait triste
nous poursuivons notre travail d'artiste.
Même si certains ne croient pas important,
pas du tout essentiel,
de chercher sans cesse le sel du sens
et même du contre-sens,
nous produisons notre essence d'émerveillement.
C'est épatant !
Nous créerons donc et plus que jamais
des livres qui murmurent doucement
le miracle d'être bien et bon vivant
et puis des pots, des flacons, des bouteilles,
toujours vides mais devenues paraboles
qui donnent envie de boire nos paroles.
Nous voyagerons en Laboratoire Mobile
quittant, du moins lorsqu'on nous le permet,
notre petite Belgique tranquille,
pays aux frontières aléatoires
qui diffuse mine de rien
son humour, sa culture et une histoire
qu'elle invente au fil du temps.
En spécialiste des utopies réjouies,
nous sommes quand même très satisfait
d'être né dans un pays
tout petit, tout petit,
qui par ses espiègleries,
nous ferait presque croire qu'il est vrai.
Dominique Maes
Président Directeur Généreux
De la Grande Droguerie Poétique
extrait des Chansons de la Grande Droguerie Poétique, éditions maelström reevolution, juillet 2021